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19 juin 2020 Vol. 13 No 14

Répercussions d’une grève illégale : responsabilité de la FTQ-construction pour faute d’omission

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Le 11 juin dernier, la Cour supérieure du Québec donnait raison aux travailleurs et entreprises de la construction dont les activités ont été paralysées par la grève illégale de 2011 en condamnant la FTQ-Construction (« FTQ ») à leur payer à titre de dommages compensatoires la somme de 9 891 715,00$[1].

Contexte

En réaction au dépôt du projet de loi nº 33 le 6 octobre 2011 visant notamment à abolir le placement syndical dans l’industrie de la construction, la FTQ organise une campagne marketing afin d’informer les travailleurs des enjeux reliés à l’adoption de cette loi sur leurs conditions de travail[2].

À la suite de cette campagne naît un mouvement spontané des travailleurs au terme duquel ces derniers se mobilisent graduellement contre le projet de loi de sorte que le 21 octobre plusieurs perturbations et fermetures de chantiers majeurs sont constatées[3].

Les 24 et 25 octobre 2011, les chantiers sont également complètement paralysés par le départ des travailleurs et leur refus de réintégrer leur poste[4].

Ce n’est que le 25 octobre vers 20h00 que les dirigeants syndicaux de la FTQ transmettent un communiqué aux travailleurs pour le rappel au travail[5]. Finalement, le 26 octobre 2011 les chantiers ont repris dans leur ensemble.

Au terme de cette grève, les travailleurs qui ont été privés de salaire et les employeurs ayant subi une perte pour le travail rémunéré, mais non fait les 21, 24 et 25 octobre 2011 («Demandeurs»), demande l’institution d’une action collective contre la FTQ pour avoir incité et omis de mettre fin aux arrêts de travail illégaux[6]. Suivant cette demande fondée sur la responsabilité civile extracontractuelle, ils réclament des dommages compensatoires de 39.4 millions de dollars et 2 millions en dommages punitifs[7].

Faute d’action ou faute par omission du syndicat ?

Après avoir conclu que l’arrêt des travailleurs constitue une grève illégale[8], le juge Granosik étudie la nature de la faute de la FTQ.

D’une part, les Demandeurs prétendent, en se basant sur une présomption de faits de l’art. 2849 du CcQ, que le syndicat a encouragé les arrêts de travail commettant ainsi une faute civile[9].

À cet effet, le Tribunal en profite pour réitérer le principe voulant qu’un syndicat est soumis, en sus des règles spécifiques applicables aux rapports collectifs du travail, au régime général de responsabilité civile[10].

Cependant, en tenant compte de la preuve administrée, il estime qu’il ne dispose pas d’indices suffisamment graves, précis et concordants permettant de conclure que la FTQ avait incité ces arrêts de travail[11]. À ce sujet, la cour s’exprime en ces termes :

[91] En conclusion, la preuve ne révèle pas que la direction de la FTQ-C a commis une faute ayant causé ou incité les arrêts de travail, mais plutôt qu’à cause de sa campagne marketing passablement efficace dans les jours qui ont précédé ces perturbations, elle s’est fait dépasser par ses adhérents au niveau des moyens de pression mis en œuvre.

D’autre part, c’est en raison de son omission d’agir promptement suivant les perturbations sur le chantier que la responsabilité de la FTQ est retenue[12].

Effectivement, en se basant notamment sur les propos de la juge Marcotte dans l’arrêt Montpetit c. Syndicat du transport de Montréal (employés des services d’entretien), le Tribunal en vient à la conclusion que la FTQ a tardé et a omis, avant la fin de la journée du 25 octobre, à prendre des actions pour faire cesser les arrêts de travail illégaux alors que la grève illégale était en cours depuis près de 3 journées consécutives[13].

En ce sens, la FTQ aurait dû rappeler ses membres au travail dès le début des perturbations soit le 21 octobre et au plus tard le 24 octobre 2011[14]. Ainsi, elle est responsable des dommages pour la journée du 25 octobre 2011 puisque le prolongement de la grève aurait pu être évité[15].

Dommages

Finalement, suivant la preuve d’expertise des parties présentée par deux juricomptables, le Tribunal retient l’expertise de celle de la demanderesse à l’effet que la FTQ est responsable des dommages représentant les conséquences de la perturbation de 50% de l’industrie de la construction pour la journée du 25 octobre 2011 pour un total de 9 891 715 $.

Il est à noter que le juge qualifie de « clairement conservatrice », la somme calculée par l’expert de la partie demanderesse[16].

En date des présentes, le délai d’appel de cette décision est présentement suspendu en raison de la suspension des délais civils depuis le 15 mars 2020. En raison du montant en jeu et de l’importance de l’affaire, il ne serait pas surprenant que la FTQ en appel de cette décision.

À cet effet, nous vous tiendrons informés du dénouement de cette affaire.

 

[1] N. Turenne Brique et pierre inc. c. FTQ-Construction, 2020 QCCS 1794, par. 132; avec intérêts et indemnité additionnelle.

[2] Par. 9 et 12.

[3] Par. 15.

[4] Par. 18, 22 et 24.

[5] Par. 20.

[6] Par. 28. L’action collective est autorisée le 15 avril 2013.

[7] Par. 33.

[8] Par. 72.

[9] Par. 80.; 2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l’appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.

[10] Par. 81.

[11] Par.90.

[12] Par. 92.

[13] Par. 98. Montpetit c. Syndicat du transport de Montréal (employés des services d’entretien) CSN, 2013 QCCA 903.

[14] Par. 98 et ss.

[15] Par. 99 et 100.

[16] Par. 113.

 

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