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28 mai 2020 Vol. 13 No 13

L’Affaire de la pyrrhotite à Trois-Rivières : Les obligations des entrepreneurs à titre d’acheteurs professionnels

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Dans l’édition précédente de notre Partenaire sur l’arrêt rendu récemment par la Cour d’appel[1], nous avons vu que la responsabilité des entrepreneurs et des coffreurs (« Entrepreneurs ») était engagée face aux victimes, soit les propriétaires des immeubles affectés par la pyrrhotite se trouvant dans le béton.

En revanche, qu’en est-il de la relation entre les Entrepreneurs, acheteurs du béton vicié, et les Fournisseurs de matériaux[2], vendeurs de ce béton?

Il importe de souligner que les Fournisseurs de matériaux, à savoir la carrière B&B et les deux bétonnières CYB et BL, répondent au statut de fabricant et sont par le fait même des vendeurs professionnels qui doivent garantir la qualité de leur produit lors de la vente.

À titre d’experts ultimes[3], ils sont présumés connaître l’existence d’un vice dans leur produit au moment de la vente[4].

Cependant, cette présomption de connaissance des vendeurs professionnels peut être repoussée s’il est démontré que l’acheteur du bien connaissait le vice ou si le vice était apparent, annulant alors la garantie de qualité établie à l’article 1726 C.c.Q.[5]

Sur ce point spécifique, le juge du procès avait formulé deux reproches aux Entrepreneurs :

  • Ils ont manqué à une obligation au Code national du bâtiment en raison de leur méconnaissance de la norme CSA A23.1 portant sur les réactions des granulats qui peuvent produire une expansion excessive du béton, notamment par la présence de sulfure; et
  • Ils ne se sont pas suffisamment informés sur le béton, alors que les problèmes de gonflement du béton étaient connus dans la région[6].

En conséquence, il leur avait imputé une responsabilité de 5% contre 25% pour les Fournisseurs de matériaux. Les Entrepreneurs ont porté cette condamnation en appel.

La Cour d’appel commence par qualifier les Entrepreneurs d’acheteurs professionnels. Elle indique que si ceux-ci peuvent, à même leurs connaissances du produit, connaître le vice ou être en mesure de le déceler, il sera alors considéré comme apparent pour eux. Ils ne pourront alors bénéficier de la garantie de qualité que doivent offrir les Fournisseurs de matériaux à titre de vendeurs professionnels.

Toutefois, le fardeau de démontrer cette connaissance des Entrepreneurs repose sur les épaules des Fournisseurs de matériaux[7].

Examinant le premier reproche quant à la méconnaissance de la norme CSA A23.1 par les Entrepreneurs, la Cour d’appel confirme qu’il n’était pas possible pour les Entrepreneurs de déterminer, en chantier, la présence de sulfure. Il aurait fallu procéder à un examen pétrographique du granulat, étape qui précède son incorporation au béton[8]. Or, comme les Fournisseurs de matériaux ont fourni du béton liquide aux Entrepreneurs, l’examen du granulat n’était plus vraiment envisageable[9].

Par ailleurs, les bétonnières BL et CYB possédant la certification Qualibéton, elles devaient donc être conformes aux normes applicables, ce que pouvaient raisonnablement tenir pour acquis les Entrepreneurs.

En conclusion sur ce premier reproche, même une connaissance de cette norme par les Entrepreneurs n’aurait pas permis de déceler le vice dans le béton sans procéder à un examen plus poussé des granulats dans le béton, et ce, préalablement à l’exécution des travaux en chantier.

Au sujet du second reproche, la Cour d’appel considère que les Entrepreneurs ont rempli leur obligation de s’informer sur le produit qu’ils achetaient. La preuve faite au procès a permis de constater que plusieurs Entrepreneurs ont interrogé CYB et BL sur la qualité de leur béton et ont été rassurés par celles-ci[10].

Certains Entrepreneurs étaient tellement convaincus de la qualité du béton qu’ils l’ont utilisé pour leurs fins personnelles ou celles des membres de leur famille. Ils ont d’ailleurs connu les mêmes problèmes de dégradation des fondations.

Les Fournisseurs de matériaux n’ont donc pas réussi à repousser la présomption de responsabilité qui pèse contre eux, en démontrant que les Entrepreneurs connaissaient le vice ou pouvaient le déceler. La garantie de qualité à laquelle ils sont tenus est alors pleinement engagée.

En conséquence, la Cour d’appel annule la portion de responsabilité attribuée aux Entrepreneurs à la hauteur de 5%. Elle accueille les demandes en intervention forcée (appels en garantie) des Entrepreneurs contre les Fournisseurs de matériaux et condamne ceux-ci à leur rembourser à ces derniers toute somme qu’ils pourraient être appelés à payer aux victimes.

Il reste à voir, et cela est fort probable, si cet arrêt sera porté en appel devant la Cour suprême du Canada pour un ultime tour de piste.

En attendant, s’ils veulent conserver la garantie de qualité des biens qu’ils utilisent dans la réalisation de leurs travaux, les entrepreneurs seront bien avisés de s’informer sur ces produits, et ce, en raison de leur statut d’acheteurs professionnels.

 

[1] SNC-Lavalin inc. (Terratech inc. et SNC-Lavalin Environnement inc.) c. Deguise, 2020 QCCA 495.
[2] Les bétonnières Construction Yvan Boisvert inc. (CYB) et Béton Laurentide inc. (BL) et la société exploitant la carrière d’où provenait le granulat de béton Carrières B&B inc. (B&B) (les « Fournisseurs de matériaux »), identifié comme le Groupe 2 par la Cour d’appel.
[3] Paragraphe 465.
[4] 1729 C.c.Q.
[5] 1726 C.c.Q. : Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
[6] Paragraphe 447 (plusieurs litiges fondés sur la pyrrhotite provenant d’une autre carrière Maskimo, connus dans la région).
[7] Paragraphe 470.
[8] Paragraphe 480.
[9] Paragraphe 481. Selon la Cour d’appel, « une telle vérification implique l’extraction de granulats du mélange liquide, leur rinçage et, par la suite, leur envoi à un laboratoire pour examen pétrographique. Les délais inhérents à ce type d’analyse mettent en lumière le caractère plutôt théorique d’une pareille vérification dans le cours normal des affaires. »
[10] Paragraphe 490.

 

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