L’affaire Banque Toronto Dominion c. Young : gare à la prescription extinctive en matière hypothécaire
Le 19 juin 2020, la Cour suprême du Canada a rendu une importante décision en matière hypothécaire[1].
En effet, le plus haut tribunal du pays a fait siens les motifs rendus par la Cour d’appel[2] et a confirmé que l’introduction d’un recours hypothécaire contre le propriétaire d’un immeuble grevé d’une hypothèque qui n’est pas le débiteur principal de l’obligation garantie par ladite hypothèque n’interrompt pas la prescription de l’obligation. Pour éviter que l’obligation ne se prescrive, le créancier devra signifier sa demande en justice au débiteur ou le mettre en cause.
Les faits qui sous-tendent cette décision sont les suivants.
Le 10 juillet 2012, la Banque Toronto Dominion (la « Banque ») fait signifier un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire aux propriétaires d’un immeuble, dans lequel elle invoque une clause de déchéance du terme.
Les propriétaires de l’immeuble en question sont des créanciers de deuxième rang qui ont eux-mêmes pris l’immeuble en paiement alors que celui-ci était toujours grevé de l’hypothèque de la Banque. Ces derniers ne sont pas personnellement responsables de l’obligation garantie par l’hypothèque de la Banque.
En octobre 2012, la Banque intente un recours hypothécaire afin d’obtenir la prise en paiement de l’immeuble. La débitrice principale de l’obligation garantie par l’hypothèque de la Banque n’est pas partie à la procédure hypothécaire de la Banque et n’en reçoit pas signification.
Le 19 février 2016, la Cour supérieure accueille le recours hypothécaire de la Banque[3].
Le 17 mai 2018, la Cour d’appel renverse cette décision. La Cour d’appel rappelle que l’hypothèque n’est que l’accessoire de l’obligation qu’elle garantit.
Conséquemment, l’obligation que garantit l’hypothèque ne doit pas être éteinte au moment où le créancier entreprend son action hypothécaire. La Cour ajoute que la même règle doit s’appliquer alors que la prescription de l’obligation est acquise au cours de l’instance hypothécaire.
Selon cette Cour, conformément aux articles 2892 et 2896 C.c.Q., l’interruption de la prescription ne vaut qu’à l’égard des parties à la demande en justice. En l’espèce, la Cour d’appel souligne que la débitrice principale n’était pas partie à l’action hypothécaire et la Banque ne lui a jamais signifié la demande, pas plus qu’il ne l’a poursuivie personnellement au moyen d’une action distincte. L’interruption ne valait donc ici qu’à l’égard des propriétaires de l’immeuble, et non de la débitrice, et elle ne pouvait empêcher la prescription de la créance due par celle-ci personnellement.
La Cour d’appel en arrive donc à la conclusion qu’en invoquant la clause de déchéance du terme dans le préavis d’exercice du 10 juillet 2012, le délai de prescription de trois ans quant à la créance personnelle commençait à courir le 10 juillet 2012. La créance de la Banque était donc prescrite lorsque la Cour supérieure rend son jugement.
En somme, comme l’accessoire doit suivre le principal, en date du 19 février 2016, l’obligation que garantit l’hypothèque étant éteinte et l’action hypothécaire était irrecevable.
La juge Côté est dissidente avec la majorité de la Cour suprême qui a avalisé les motifs de la Cour d’appel. Selon cette dernière, l’introduction par la Banque de son recours hypothécaire contre les propriétaires de l’immeuble a interrompu la prescription pour les fins de l’exercice du recours hypothécaire.
La juge Côté rappelle que le créancier a le choix de son recours, personnel ou hypothécaire. À cet effet, la juge Côté souligne que « puisqu’il est possible que le recours hypothécaire s’exerce à l’endroit d’une personne autre que le débiteur de l’obligation principale, il est d’autant plus clair que c’est le débiteur hypothécaire que l’on cherche à empêcher de prescrire au moyen d’un recours hypothécaire »[4]. En application de l’article 2892 C.c.Q., le dépôt d’une demande en justice contre le débiteur hypothécaire formerait donc une interruption du délai de prescription à son égard.
Cela étant dit, le principe retenu par la majorité a déjà été repris par la Cour d’appel dans une décision récente[5].
À la lumière de ce qui précède, il apparait prudent de signifier toute demande hypothécaire au débiteur principal de l’obligation garantie ou de mettre le débiteur principal en cause si celui-ci n’est pas autrement partie à l’instance.
[1] Banque Toronto-Dominion c. Young, 2020 CSC 15
[2] Young c. Banque Toronto-Dominion, 2018 QCCA 810
[3] Banque Toronto-Dominion c. Young, 2016 QCCS 838
[4] Ibid. note 1, au para. 45
[5] Immeubles Prime inc. c. Patrick Morin inc., 2020 QCCA 929
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Le 19 juin 2020, la Cour suprême du Canada a rendu une importante décision en matière hypothécaire[1].
En effet, le plus haut tribunal du pays a fait siens les motifs rendus par la Cour d’appel[2] et a confirmé que l’introduction d’un recours hypothécaire contre le propriétaire d’un immeuble grevé d’une hypothèque qui n’est pas le débiteur principal de l’obligation garantie par ladite hypothèque n’interrompt pas la prescription de l’obligation. Pour éviter que l’obligation ne se prescrive, le créancier devra signifier sa demande en justice au débiteur ou le mettre en cause.
Les faits qui sous-tendent cette décision sont les suivants.
Le 10 juillet 2012, la Banque Toronto Dominion (la « Banque ») fait signifier un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire aux propriétaires d’un immeuble, dans lequel elle invoque une clause de déchéance du terme.
Les propriétaires de l’immeuble en question sont des créanciers de deuxième rang qui ont eux-mêmes pris l’immeuble en paiement alors que celui-ci était toujours grevé de l’hypothèque de la Banque. Ces derniers ne sont pas personnellement responsables de l’obligation garantie par l’hypothèque de la Banque.
En octobre 2012, la Banque intente un recours hypothécaire afin d’obtenir la prise en paiement de l’immeuble. La débitrice principale de l’obligation garantie par l’hypothèque de la Banque n’est pas partie à la procédure hypothécaire de la Banque et n’en reçoit pas signification.
Le 19 février 2016, la Cour supérieure accueille le recours hypothécaire de la Banque[3].
Le 17 mai 2018, la Cour d’appel renverse cette décision. La Cour d’appel rappelle que l’hypothèque n’est que l’accessoire de l’obligation qu’elle garantit.
Conséquemment, l’obligation que garantit l’hypothèque ne doit pas être éteinte au moment où le créancier entreprend son action hypothécaire. La Cour ajoute que la même règle doit s’appliquer alors que la prescription de l’obligation est acquise au cours de l’instance hypothécaire.
Selon cette Cour, conformément aux articles 2892 et 2896 C.c.Q., l’interruption de la prescription ne vaut qu’à l’égard des parties à la demande en justice. En l’espèce, la Cour d’appel souligne que la débitrice principale n’était pas partie à l’action hypothécaire et la Banque ne lui a jamais signifié la demande, pas plus qu’il ne l’a poursuivie personnellement au moyen d’une action distincte. L’interruption ne valait donc ici qu’à l’égard des propriétaires de l’immeuble, et non de la débitrice, et elle ne pouvait empêcher la prescription de la créance due par celle-ci personnellement.
La Cour d’appel en arrive donc à la conclusion qu’en invoquant la clause de déchéance du terme dans le préavis d’exercice du 10 juillet 2012, le délai de prescription de trois ans quant à la créance personnelle commençait à courir le 10 juillet 2012. La créance de la Banque était donc prescrite lorsque la Cour supérieure rend son jugement.
En somme, comme l’accessoire doit suivre le principal, en date du 19 février 2016, l’obligation que garantit l’hypothèque étant éteinte et l’action hypothécaire était irrecevable.
La juge Côté est dissidente avec la majorité de la Cour suprême qui a avalisé les motifs de la Cour d’appel. Selon cette dernière, l’introduction par la Banque de son recours hypothécaire contre les propriétaires de l’immeuble a interrompu la prescription pour les fins de l’exercice du recours hypothécaire.
La juge Côté rappelle que le créancier a le choix de son recours, personnel ou hypothécaire. À cet effet, la juge Côté souligne que « puisqu’il est possible que le recours hypothécaire s’exerce à l’endroit d’une personne autre que le débiteur de l’obligation principale, il est d’autant plus clair que c’est le débiteur hypothécaire que l’on cherche à empêcher de prescrire au moyen d’un recours hypothécaire »[4]. En application de l’article 2892 C.c.Q., le dépôt d’une demande en justice contre le débiteur hypothécaire formerait donc une interruption du délai de prescription à son égard.
Cela étant dit, le principe retenu par la majorité a déjà été repris par la Cour d’appel dans une décision récente[5].
À la lumière de ce qui précède, il apparait prudent de signifier toute demande hypothécaire au débiteur principal de l’obligation garantie ou de mettre le débiteur principal en cause si celui-ci n’est pas autrement partie à l’instance.
[1] Banque Toronto-Dominion c. Young, 2020 CSC 15
[2] Young c. Banque Toronto-Dominion, 2018 QCCA 810
[3] Banque Toronto-Dominion c. Young, 2016 QCCS 838
[4] Ibid. note 1, au para. 45
[5] Immeubles Prime inc. c. Patrick Morin inc., 2020 QCCA 929
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