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14 avril 2020 Vol. 13 No 7

COVID-19 : L’impact juridique de la fermeture des chantiers sur les délais d’exécution

Auteur : Stéphane Paquette
Stéphane Paquette
Stéphane Paquette

Nous avons déjà fait une analyse comparative des clauses relatives à la force majeure et aux retards de livraison dans le cadre des principaux modèles de contrat préliminaire[1]. Nous reprenons l’exercice quant aux contrats d’entreprise standardisés utilisés dans l’industrie de la construction de bâtiments résidentiels soit les modèles de contrat d’entreprise de l’APCHQ et de la GCR.

Comme vous le savez, le gouvernement du Québec a adopté le 24 mars dernier le décret 223-2020 ordonnant la suspension de toute activité non essentielle en milieu de travail, et ce, en raison de la pandémie de covid-19. Ce décret implique la fermeture de tous les chantiers de construction entrainant ainsi des retards systématiques dans l’exécution des travaux.

Quels seront les effets de la fermeture des chantiers quant aux obligations des entrepreneurs ? Au risque de se répéter, cela dépend essentiellement des contrats signés par vous.

La force majeure

Cette notion est définie à l’article 1470 du Code civil du Québec[2]. Il s’agit d’un évènement imprévisible et irrésistible. On assimile également à la force majeure, une cause imprévisible, irrésistible et étrangère à la volonté des parties. Le décret 223-2020 suspendant toute activité en milieu de travail constitue une cause étrangère à la volonté des parties ayant tous les attributs d’une force majeure.

Il s’agit donc d’une force majeure qui n’a pas pour effet d’empêcher l’exécution des travaux, mais de retarder celle-ci. C’est donc sous l’angle du retard d’exécution que nous devons analyser le droit des parties.

Les contrats d’entreprise

Contrairement aux contrats préliminaires, les contrats d’entreprise peuvent être résiliés en tout temps par les clients. À cet égard, la suspension des chantiers par l’effet du décret 223-2020 ne change en rien les droits des parties à un contrat d’entreprise relativement à la possibilité du client de résilier le contrat. Tout comme dans le cas des contrats préliminaires, les articles 1470 et 1693[3] du Code civil du Québec permettent à une partie d’échapper à sa responsabilité contractuelle si son défaut est causé par une force majeure. De plus, une partie n’est pas tenue de remplir une obligation si un cas de force majeure rend cette obligation impossible à remplir. Ces articles n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent y déroger.

 

a) Les modèles de l’APCHQ

Ces modèles contiennent la clause suivante :

  1. RETARD DANS L’EXÉCUTION

 L’Entrepreneur ne sera pas responsable de tout retard dans l’exécution des travaux si ce retard est causé soit par le défaut du Client de remplir une obligation prévue au présent contrat, soit par un cas de force majeure, soit par toute autre cause indépendante de la volonté de l’Entrepreneur. Sans limiter la généralité de ce qui précède, les évènements suivants sont assimilés à un cas de force majeure aux fins du présent contrat : un accident inévitable, un feu, une inondation, des conditions climatiques exceptionnelles, une grève ou autre conflit de travail, une absence des services d’utilité publique, l’impossibilité d’obtenir des services ou des matériaux à des conditions raisonnables, ainsi que l’effet de toute législation ou de tout règlement ou de toute ordonnance de tout palier gouvernemental.

Cette clause prévoit que l’entrepreneur n’est pas responsable d’un retard dans l’exécution des travaux qui découle d’une cause indépendante de sa volonté. Cette clause fait référence non seulement à un cas de force majeure et à toute cause étrangère à la volonté de l’entrepreneur, mais également à certaines situations précisément identifiées (grève, guerre, révolution, inondation, conflit de travail, impossibilité d’obtenir des matériaux ou des services à des coûts raisonnables, etc.), ainsi qu’à tout règlement, législation ou ordonnance de tout palier gouvernemental. La référence directe à «tout règlement, législation ou ordonnance» dissipe tout doute à l’effet que le décret 223-2020 constitue une force majeure en vertu du contrat.

Cette clause ne porte aucunement à interprétation et est conforme aux dispositions du Code civil du Québec.

Considérant l’effet domino d’une suspension des activités de construction et les délais de mobilisation, il est à prévoir que les délais de retard seront généralement plus longs que le délai d’interruption. Dans un tel cas, l’entrepreneur devra être en mesure de démontrer une autre cause étrangère à sa volonté justifiant son retard de livraison, autre que le simple effet du décret.

Nous réitérons notre suggestion aux entrepreneurs dans un tel cas soit d’aviser par écrit leurs clients qu’en raison d’une force majeure l’exécution des travaux sera différée et de préciser et de quantifier tous les délais découlant de l’interruption forcée par le décret 223-2020. À cet égard, il sera opportun de préciser, le cas échéant, le temps de mobilisation, les délais de fourniture de matériaux et les délais administratifs afin d’obtenir l’émission de permis ou de service public.

 

b) Les modèles de la GCR

Encore une fois, la situation est malheureusement plus complexe pour les entrepreneurs utilisant les modèles de la GCR. Les modèles de la GCR (dont l’utilisation n’est pas obligatoire) protègent mal les droits de l’entrepreneur[4]. Contrairement aux modèles de l’APCHQ, les modèles de contrat d’entreprise de la GCR ne prévoient pas l’absence de responsabilité de l’entrepreneur dont les travaux sont retardés pour une cause de force majeure ou étrangère à sa volonté.

Le modèle de contrat d’entreprise de la GCR prévoit ceci :

2.2   Report de la date de fin des travaux (Applicable ou Non-applicable)

 Si applicable, le client reconnaît que la date de fin des travaux mentionnée au paragraphe 2.1 est approximative. Si l’entrepreneur n’est pas en mesure de respecter cette date de fin des travaux, il s’engage à donner un avis écrit au client au moins   soixante (60) jours OU  _________ jours avant cette date. Dans ce cas, et afin de fixer une nouvelle date de fin des travaux, les règles suivantes s’appliqueront :

2.2.1   L’entrepreneur donnera au client un avis écrit d’au moins soixante (60) jours avant la nouvelle date de fin des travaux, laquelle ne pourra pas être éloignée de plus de cent quatre-vingts (180) jours OU  _________ jours  de la date déterminée au paragraphe 2.1.

2.2.2   À défaut par l’entrepreneur d’aviser le client de la nouvelle date de fin des travaux comme susdit, le client pourra : Résilier le Contrat d’entreprise et les acomptes payés ainsi que tous autres montants versés par le client relativement au Contrat d’entreprise, le cas échéant, lui seront remboursés sans autre recours de part et d’autre; OU Exiger le paiement des pénalités pour retard de livraison, tel que prévu au paragraphe 2.4.

 (…)

2.4   Retard de livraison

2.4.1  Si l’entrepreneur est dans l’impossibilité de livrer l’Ouvrage à la date de fin des travaux, telle qu’elle pourra être reportée conformément  au paragraphe 2.2, le cas échéant, le client pourra appliquer les règles suivantes ou l’une ou l’autre de celles-ci :

2.4.1.1  exiger à compter de cette date, la somme indiquée en page 5 au sous-paragraphe 7.1.1, à titre de pénalité jusqu’à la livraison de l’Ouvrage;

2.4.1.2  donner, si le retard de livraison est important, soit d’un nombre de jours supérieur à celui indiqué en page 5 au sous- paragraphe 7.1.2, un avis écrit à l’entrepreneur le mettant en demeure de livrer l’Ouvrage dans un délai maximum du nombre de jours indiqué en page 5 au sous-paragraphe 7.1.3. À défaut par l’entrepreneur de s’y conformer dans ce délai, le client pourra résilier le Contrat d’entreprise et les acomptes payés ainsi que tous autres montants versés par le client relativement au Contrat d’entreprise, le cas échéant, lui seront remboursés avec le paiement des pénalités mentionnées ci-dessus, sans autre recours de part et d’autre.

2.4.2  Nonobstant le sous-paragraphe 2.4.1, l’entrepreneur ne sera pas responsable du retard apporté à la livraison de l’Ouvrage, si ce retard provenait du défaut du client de remplir ses obligations en vertu du Contrat d’entreprise.

La clause 2.2 est une clause suggérée qui peut recevoir application dans la mesure où les parties font le choix de l’appliquer. L’absence de choix rend l’interprétation du contrat incertaine.

Si la clause « report de la date de fins des travaux » est applicable, il sera possible pour l’entrepreneur de repousser la date de livraison en donnant l’avis prévu, et ce, sans frais ni pénalité. Il est cependant important de noter que cet avis doit être donné à l’intérieur du délai prévu ou à défaut au moins 60 jours de la date de clôture et la date de report soit du nombre de jours maximum prévu au contrat ou à défaut de 180 jours. Le défaut de donner cet avis permet à l’acheteur de résilier le contrat ou de demander le paiement de la pénalité prévue.

Nous suggérons aux entrepreneurs et aux promoteurs qui sont à l’intérieur des délais prévus par cette clause de donner à leurs clients un avis de report de la date de clôture.

Si la clause « report de la date de livraison » n’est pas applicable, c’est la clause « 2.4 Retard de livraison » qui doit s’appliquer. Nous réitérons que ces clauses n’auraient pas pour effet de rendre les dispositions de l’article 1470 et 1693 du Code civil du Québec inapplicables et que l’entrepreneur, qui ne pourra exécuter ses travaux à l’intérieur des délais prévus en raison des dispositions du décret 223-2020, pourrait repousser la date de livraison et ne sera pas tenu de payer des dommages à l’acheteur. Il est cependant à prévoir que les clauses de ces contrats puissent faire l’objet d’interprétations contradictoires.

Nous suggérons aux entrepreneurs qui sont à l’intérieur des délais prévus par la clause 2.2 de donner à leurs clients un avis de report de la date de clôture. Dans tous les autres cas, nous suggérons aux entrepreneurs d’envoyer un avis écrit à leurs clients à l’effet qu’en raison d’une force majeure, la date de livraison de l’immeuble ou de terminaison des travaux sera reportée et de préciser et de quantifier tous les délais découlant de l’interruption forcée par le décret 223-2020, le tout en s’appuyant sur les dispositions des articles 1470 et 1693 du Code civil du Québec.

 

Conclusions

En aucun temps les entrepreneurs ne devraient être responsables des retards causés par une force majeure ou en raison d’une cause indépendante de leur volonté.

Nous réitérons que l’utilisation d’un modèle de contrat tenant compte de vos besoins et protégeant vos droits est essentielle en cas de litige. Nous vous suggérons d’envoyer des avis écrits à vos clients établissant la situation de force majeure et expliquant la nature des délais d’exécution des travaux qui en découleront.

Nous sommes là pour aider en ces temps inédits.

 

 

[1] https://cpavocats.ca/covid-19-limpact-juridique-de-la-fermeture-des-chantiers-sur-les-delais-de-livraison-dimmeubles-residentiels/

[2] 1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

1991, c. 64, a. 1470.

[3] 1693. Lorsqu’une obligation ne peut plus être exécutée par le débiteur, en raison d’une force majeure et avant qu’il soit en demeure, il est libéré de cette obligation; il en est également libéré, lors même qu’il était en demeure, lorsque le créancier n’aurait pu, de toute façon, bénéficier de l’exécution de l’obligation en raison de cette force majeure; à moins que, dans l’un et l’autre cas, le débiteur ne se soit expressément chargé des cas de force majeure.

La preuve d’une force majeure incombe au débiteur.

1991, c. 64, a. 1693.

[4]  Voir la publication suivante : https://cpavocats.ca/les-modeles-de-contrat-preliminaire-et-de-contrat-dentreprise-de-la-gcr-sont-ils-obligatoires-2/

 

 

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